S’il y a bien une question qui divise les technophiles, c’est le bitcoin. Non pas le concept de blockchain qui est aujourd’hui reconnu comme une innovation qui peut apporter de la confiance et de la désintermédiation mais bien la crypto-monnaie qui est remise en cause.

J’en donne une explication détaillée ici dans mon Entretien avec LTE.ma pour ceux qui veulent se rafraichir la mémoire. Nous aborderons dans cette suite d’articles les grands points structurants et méconnus du bitcoin.

Alors, êtes-vous pour ou contre le bitcoin ?

Pour pouvoir se prononcer au-delà des débats idéologiques qu’ils soient à tendance crypto-anarchistes ou régulateurs zélés, et ayant été moi-même longtemps hésitant sur la posture à avoir, j’ai entrepris de creuser un certain nombre de caractéristiques sur le bitcoin qu’il faut absolument connaître pour pouvoir se prononcer objectivement.

Sommaire des 7 articles

  1. Une gouvernance bien trop humaine
  2. Une répartition à faire pâlir Gini
  3. Une machine à blanchir les capitaux
  4. Une usine à CO2
  5. To scale or not to scale ?
  6. Les vautours de la spéculation
  7. Un risque légal systémique

Voici donc le premier problème, celui d’une gouvernance bien trop humaine….

Zoom sur le péché n°1 - Le bitcoin est gouverné par des êtres humains comme vous et moi

Le bitcoin est né en octobre 2008 d’un white paper de Satoshi Nakamoto qui a été implémenté, testé et fine tuné au cours des années par un premier cercle d’enthousiastes puis par une communauté de bénévoles (core developers) dont un lead developer chargé d’orchestrer les développements pour garder un minimum de cohérence, soit une forme de product owner. Les motivations et intérêts en jeu de ces personnages peuvent être discutés étant donné l’impact qu’ils peuvent avoir sur la trajectoire et la valeur du bitcoin.

De par leur expertise, ces développeurs contrôlent effectivement le code du Bitcoin et peuvent décider d’y implémenter des modifications à tout moment. Et même si ces modifications suivent une gouvernance claire, ouverte et transparente, une forme de centralisation se cache ici car quelqu’un doit bien appuyer sur un bouton pour décider d’évolutions ou plus simplement de correctifs de sécurité sur le repository du code.

Bitcoin contributors

Lorsque les développeurs ne sont pas d’accord, c’est la guerre civile du bitcoin. Chaque camp crée sa propre version en partant du même code et du même historique de blocs et on obtient ainsi par exemple le bitcoin gold (976 millions € de capitalisation) en octobre 2017, le bitcoin cash (9,8 milliards € de capitalisation) en août 2017. De son côté, existera la branche “considérée originelle” du bitcoin (BTC 998 milliards € de capitalisation). Il existe en réalité plusieurs dizaines de versions déployées et plus ou moins réussies du bitcoin avec chacun sa vision et ses spécificités.

Bitcoin forks

De ce fait, qu’est ce qui fait que je peux avoir confiance en ce type de gouvernance ?

  • Ces développeurs ont en général été parmi les premiers à avoir investi et ont donc un incentive très fort à ce que le bitcoin atteigne une valeur maximale. Ils ont en quelque sorte des actions (bitcoins) d’une société (la blockchain du bitcoin) et ne feront rien qui pourrait diminuer leur fortune future. Tout ce qu’ils feront préservera sa valeur.
  • Certains d’entre eux ont collaboré avec Satoshi Nakamoto et ont une forme d’aura d’avoir côtoyé l’initiateur (si tant est qu’il est bien une seule personne). D’autres ont été parmi les premiers à contribuer. Cette légitimité historique leur donne donc un droit de regard sur le futur de ce qu’ils ont aidé à grandir. C’est quelque part leur bébé.
  • Le niveau technique de ces développeurs est l’un des meilleurs aujourd’hui car ils ont travaillé sur le code du bitcoin depuis longtemps et comprennent bien les enjeux techniques. Qui mieux qu’eux pour maintenir une innovation technologique aussi disruptive.

Ces développeurs sont donc les mieux placés pour organiser la blockchain du bitcoin. Même si des différences de vision peuvent arriver, la gouvernance existante est peut-être la meilleure voire la seule possible pour un projet fédérateur comme le bitcoin.

Peut-être que ces trois arguments ne sont pas assez rassurants, alors voici un autre :

Le bitcoin est déployé par des êtres humains comme vous et moi

Il existe une forme plus subtile de gouvernance, c’est celle des mineurs car ils sont ceux qui font tourner le code du bitcoin dans des fermes de minage et sont donc l’essence de la blockchain du bitcoin. Les miners ont tout simplement le choix de mettre en application ou pas les modifications proposées par les core developers. Ils peuvent par exemple décider de ne pas migrer sur une version qui leur octroie moins de bitcoin à chaque bloc. Ou encore choisir le code d’une autre communauté de développeurs lorsque les visions divergent : favoriser le nombre de transaction par seconde pour rendre plus accessible le bitcoin ou ralentir la cadence pour stabiliser et protéger la blockchain.

Cette situation est arrivée souvent et c’est comme ça que naissent opérationnellement les hard fork d’une blockchain, ces divergences fondamentales dans la vision qui ont un impact sur le contenu de la blockchain postérieur à l’évènement.

Donc in fine, le petit groupe de personnes qui contrôle le code n’a pas une prise totale sur la blockchain. L’opérationnalisation de leur pouvoir doit se faire avec un accord tacite des mineurs. Ceci me fait conclure que de la même manière que le protocole du bitcoin permet une répartition de la validation des transactions, le mode de déploiement du code du bitcoin contient une forme de robustesse liée à son côté consensuel, volontaire et libre. Un code qui ne convainc pas la communauté de mineurs repartira au mieux en développement, au pire résultera dans un hard fork soit une blockchain concurrente (diluant ainsi la valeur de la blockchain de départ).

Mais quand on sait qu’aujourd’hui, entre 50 et 150 mineurs contrôlent plus de 50% de la capacité de validation de la blockchain du bitcoin (selon une étude récente d’octobre 2021 du National Bureau of Economic Research), on est en droit de se demander si cette forme de centralisation ne menace pas la vision originelle de Satoshi Nakamoto. Le seuil des 50% de contrôle est une limite critique qui une fois dépassée ouvre la voie à un affaiblissement de la blockchain pour de nombreuses raisons.

Ci-dessous, l’évolution du nombre de mineurs qui contrôlent 50% de la puissance de calcul du Bitcoin en bleu d’après l’étude précédente : Bitcoin Miners Concentration

Ma conclusion personnelle

On m’a promis une désintermédiation totale mais en fait, je mets toutes mes économies dans du code gouverné par un nombre réduit de personnes … le déploiement de ce code est contrôlé là aussi par une poignée de super-miners non identifiés de manière claire … et tout ce beau monde a des intérêts non déclarés et qui ne sont pas forcément alignés avec l’utilisateur que je suis. Est-ce toujours mieux qu’une monnaie de banque centrale ?

Et si ces personnes décident de multiplier par 100 le taux de production naturel des bitcoins, mes économies ne vaudront-elles plus rien ? Si ces personnes n’arrivent plus à se mettre d’accord, risque-t-on de voir des fork apparaître qui affaibliront mes économies ? Je suis clairement dépendant d’un avenir sur lequel je n’ai aucune visibilité. Ceci est à mettre en regard avec le fait d’avoir un lingot d’or dans mon coffre personnel. Jusqu’où le bitcoin peut-il être considéré comme un vrai or digital ?

Fondamentalement, trois intérêts divergents s’opposent :

  • L’intérêt des core developers qui choisiront par exemple les évolutions qui vont dans le sens de leur vision
  • L’intérêt des mineurs qui veulent maximiser leurs profits, et donc veulent un mining moins gourmand en électricité et une récompense en bitcoin plus importante, tout en assurant une valeur maximale du cours du bitcoin pour payer leur frais (en monnaie normale pour l’instant)
  • L’intérêt des utilisateurs qui veulent une réserve de valeur croissante, liquide et dont les temps et frais de transaction sont les plus faibles possibles

D’un point de vue socio-économique, ces trois groupes s’apparentent respectivement à la classe dirigeante, la classe capitaliste et la classe ouvrière. Cette analogie rapide montre que le bitcoin est plus compliqué qu’il n’y paraît et qu’il a tendance à reproduire une organisation sociétale très humaine

Note

Cet article a uniquement pour but d’éclairer sur des aspects méconnus du bitcoin. Bien entendu, mes conclusions personnelles n’engagent que moi. Ne les prenez pas comme un conseil d’investissement :)

Sources

Quelques sources supplémentaires en plus de celles cachées dans l’article :