Nous aborderons dans cette suite d’articles les grands points structurants et méconnus du bitcoin.

Alors, êtes-vous pour ou contre le bitcoin ?

Pour pouvoir se prononcer au-delà des débats idéologiques qu’ils soient à tendance crypto-anarchistes ou régulateurs zélés, et ayant été moi-même longtemps hésitant sur la posture à avoir, j’ai entrepris de creuser un certain nombre de caractéristiques sur le bitcoin qu’il faut absolument connaître pour pouvoir se prononcer objectivement.

Je partage donc avec vous ces quelques idées :

Sommaire des 7 articles

  1. Une gouvernance bien trop humaine
  2. Une répartition à faire pâlir Gini
  3. Une machine à blanchir les capitaux
  4. Une usine à CO2
  5. To scale or not to scale ?
  6. Les vautours de la spéculation
  7. Un risque légal systémique

Zoom sur le péché n°4 - Le bitcoin est-il fondamentalement mauvais pour la planète ?

La blockchain du bitcoin est basée sur un ensemble de miners participant à la validation de transactions et les consignant sous forme de blocs. Cela, tout le monde le sait maintenant. Comme dans tout système informatique, il est absolument normal que chaque miner consomme de l’énergie pour assurer son bon fonctionnement. Mais du coup, qu’est ce qui change vraiment dans le cas du bitcoin et pourquoi autant de mauvaise presse énergétique dès 2015 ?

Bitcoin Is Bad

Bitcoin Is Bad

À vrai dire, le problème essentiel du bitcoin tient dans le protocole même de sa blockchain. Ce protocole doit résoudre une problématique cruciale qui est celle de choisir le noeud qui aura la responsabilité de former un bloc valide et de l’ajouter à la chaîne (entre autres responsabilités). Le choix de ce noeud doit se faire de la manière la plus imprévisible et décentralisée possible pour éviter toute collusion de la décision. La blockchain étant autoportante, utiliser un algorithme de choix aléatoire est quasiment impossible sans recourir à une source externe de hasard (comme une lampe à lave ou du bruit atmosphérique) : dans le monde des blockchains, on appelle oracle le pont entre le monde réel et le monde de la blockchain. Utiliser un oracle introduirait un élément de centralisation dans un système dont le protocole se veut décentralisé.

Il faut un moyen de mettre d’accord tous les nœuds du système qui soit décentralisé donc propre à la blockchain. Il nous faut une forme de vote distribué ou chaque nœud peut exprimer son avis du ou des prochains blocs à inclure, la chaîne étant sa “vérité”. Mais là aussi, comment faire voter de manière juste et équitable des entités honnêtes et malhonnêtes dans le monde du digital ?

Le bitcoin a trouvé la solution à travers le proof of work, lui-même dérivé de Hashcash, un algorithme ingénieux inventé pour empêcher le spam mail fin des années 90. L’idée est simple, nous allons lier chaque vote à quelque chose du monde réel difficilement duplicable à l’infini. Le proof of work est la preuve du travail des ordinateurs : plus vous avez de puissance de calcul (de transistors physiques) et plus votre vote compte. D’autres types de consensus vous demanderont de l’espace disque (le proof of space) ou encore de l’espace disque non utilisé pendant un laps de temps (le proof of spacetime). Le principe est à chaque fois d’arrimer le vote au monde réel et à ses limites finies.

Le ChiaCoin et son proof of spacetime sont notamment connus pour avoir provoqué une augmentation importante du prix des disques durs ce qui montre l’impact sur l’économie réelle d’une fièvre de minage dans un écosystème blockchain.

Comme l’indique Satoshi dans son whitepaper (page 3), le bitcoin repose donc sur one-CPU-one-vote pour choisir la chaîne la plus longue, la “vérité” du monde digital.

La blockchain du bitcoin est donc fondamentalement gourmande en énergie. Pas seulement parce qu’il y a une infrastructure derrière comme tout système informatique mais surtout dans le sens où chaque participant du réseau cherche à avoir le maximum de puissance de calcul pour participer au consensus en faisant valoir le plus possible son vote pour profiter des incentives financiers bien calibrés du protocole. La consommation énergétique du bitcoin est une feature et pas un bug.

La puissance de calcul et donc l’énergie sont ce qui fait la force du consensus du bitcoin, la sécurité de sa blockchain et par conséquent la confiance inébranlable en sa pérennité.

Le bitcoin est-il devenu mauvais pour la planète ?

En 2010, lorsque le bitcoin a démarré, ce sont quelques ordinateurs personnels qui participaient au consensus naissant mais la fièvre du minage a rapidement pris les individus capables de scaler leur infrastructure en maintenant des coûts faibles.

En échelle linéaire, on constate une augmentation claire en valeur absolue de la puissance de calcul (matérialisée par des votes dont l’unité est le hash) à partir de 2018 concomitamment à l’augmentation du cours du bitcoin (qui est l’incentive financier pour les miners dont le “vote” est réussi).

Bitcoin hashrate distribution

https://www.blockchain.com/charts/hash-rate

Bitcoin market price

https://www.blockchain.com/charts/market-price

Le bitcoin est un système anti-efficient dans le sens où plus la crypto-monnaie est utilisée, plus sa valeur en monnaie fiat augmente. Et plus les incentives financiers (récompense libellée en bitcoin) pour les miners sont importants, et plus ils peuvent se permettre de dépenser de l’énergie (qu’il faut payer en monnaie fiat à des fournisseurs) pour participer au consensus et gagner l’incentive. Cette corrélation destructrice se retrouve dans les deux graphes ci-dessus.

En passant d’un demi Tera hashes (500 milliards de hashes) lorsque Satoshi se retire du projet à près de 200 Tera hashes en 2022, la consommation en calcul pur a été multipliée par 400. Mais la consommation énergétique a suivi une évolution légèrement différente car le hardware utilisé pour miner du bitcoin a été de plus en plus efficient :

  • Des CPU (processeurs) en 2009 pour une consommation énergétique de 5000 joules par Giga hashe
  • Des GPU (cartes graphiques) en 2010 et 2011 pour 500 joules par Giga hashe
  • Des circuits intégrés à partir de 2012 dont les performances énergétiques sont passées de 50 joules par Giga hashe à moins de 0,03 joule par Giga hashe.

L’augmentation de la puissance de calcul utilisée pour la blockchain du bitcoin s’est donc accompagnée d’une amélioration constante de l’efficience du hardware employé pour le minage.

Quelle est l’empreinte résultante estimée de ces deux mouvements qui se compensent ?

Bitcoin Energy Consumption

https://digiconomist.net/bitcoin-energy-consumption

Pour avoir une référence simple à comprendre, la consommation totale énergétique marocaine était de 38 TWh et la consommation française de 564 TWh (pour un maximum mondial de 7326 TWh pour la Chine). La conclusion immédiate qui nous vient à l’esprit est que le bitcoin consomme autant qu’un pays industrialisé comme l’Espagne (263 TWh en 2020).

Mais alors qu’un pays utilise son énergie pour son économie (secteurs primaire, secondaire et tertiaire) et nourrit, habille, réchauffe et déplace des millions de personnes, à quoi sert réellement le bitcoin pour un usage énergétique équivalent ?

Nous pourrions également être tentés de comparer la consommation énergétique du bitcoin à un système de paiement comme VISA. Nous constaterions là aussi que ce dernier est 3400 fois plus efficient par transaction que la mère des crypto-monnaies. Le bitcoin consomme pour une transaction (sur son layer L1) l’équivalent de 59 jours d’énergie nécessaire pour un foyer américain moyen (1719 kWh). C’est malheureusement le prix à payer pour une décentralisation totale de la monnaie. La consommation énergétique du bitcoin n’est pas liée à sa capacité transactionnelle (maximum de 400k transactions par jour) mais plutôt à la solidité du réseau à travers le prix fiat de l’électricité (coûts) et le prix du bitcoin crypto-monnaie/incentive (bénéfice).

C’est une question tellement fondamentale qu’elle a agité le premier cercle fondateur du Bitcoin à l’image de ce tweet de Hal Finney qui à peine un mois après la naissance du bitcoin se demande : Peut-on obtenir les mêmes propriétés disruptrices pour une consommation énergétique moindre ? (et donc moins de CO2 en première approximation)

Bitcoin CO2 Tweet

https://twitter.com/halfin/status/1153096538

Des réponses à la problématique d’efficience ont été trouvées à travers le système de layer ou couche L2 mais je reviendrai dessus dans un prochain article.

Revenons à notre question principale qui est écologique : au-delà de l’utilité, quelle empreinte carbone pour les 204 TWh d’énergie qu’a consommé le bitcoin sur l’année 2021 ?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre que le but du miner est de maximiser ses bénéfices en tenant compte des :

  • CAPEX : Les frais d’investissements en hardware, équipements réseau, systèmes de refroidissements et achat des bâtiments pour héberger les datacenters de minage
  • OPEX : Salaires des techniciens, frais de maintenance des équipements et surtout coût de l’énergie utilisée

Le miner a donc besoin de rentrer dans ses frais le plus rapidement possible avant que l’obsolescence de ses infrastructures ne le rattrape par rapport à d’autres miners nouveaux entrants. Il doit donc :

  1. D’une part, avoir une énergie la moins chère possible
  2. D’autre part, avoir un débit quasiment constant en énergie afin de maintenir son équipement à 100% de fonctionnement

Le set-up le plus simple pour remplir ces critères est d’être proche d’une source d’énergie constante et/ou abondante :

Notons que de nombreux pays limitent ou interdisent les activités de minage car elles fragilisent les infrastructures énergétiques des pays et peuvent conduire à des coupures de courant pour les populations comme au Kosovo.

L’évolution de la distribution géographique des miners entre septembre 2019 et aout 2021 montre que les Etats-Unis, le Kazakhstan et le Canada sont aujourd’hui les plus importants nouveaux pays du minage du bitcoin, comme dans l’infographie suivante de visualcapitalist :

Bitcoin Country repartition

https://www.visualcapitalist.com/after-chinas-crypto-ban-who-leads-in-bitcoin-mining/

Nous pouvons enfin boucler la boucle et estimer le niveau de CO2 produit par la blockchain du bitcoin. En tenant compte du mix énergétique de chaque région du monde à partir d’une étude de l’université de Cambridge, on peut arriver à estimer le mix énergétique du bitcoin

Regional Energy Mix

https://www.jbs.cam.ac.uk/faculty-research/centres/alternative-finance/publications/3rd-global-cryptoasset-benchmarking-study/

On considère selon des études qui datent de fin 2020 que 39% du mining opéré par les blockchains proof of work (bitcoin étant majoritaire) est réalisé avec des énergies renouvelables. Ce ratio va jusqu’à 70% en Europe et 66% en Amérique et descend à 25% dans la zone asie-pacifique.

D’après une association de miners qui a sondé une partie de ses membres, le ratio global d’énergie renouvelable devrait atteindre 56% à fin 2021 normalement.

Ce mix global correspond à une empreinte de 22 Megatonnes de CO2 de novembre 2018 à novembre 2019 selon une étude publiée à l’époque, soit l’équivalent des émissions d’un pays comme la Jordanie ou le Sri Lanka (le Maroc est à 57 Megatonnes).

Bitcoin CO2 2019

Situation des émissions annuelles à mi 2019 - The Carbon Footprint of Bitcoin - https://doi.org/10.1016/j.joule.2019.05.012

De septembre 2020 à septembre 2021, c’était à peu près 38 Mégatonnes de CO2 émis d’après une étude du Frankfort School Blockchain Center, soit une augmentation significative par rapport à deux années auparavant. Pour une part mondiale de 0.08% des émissions de CO2 mondiales à rapporter à 0.52% de la consommation électrique mondiale.

Oui le bitcoin émet effectivement beaucoup du CO2, mais il le fait de manière complexe à travers l’interaction des miners avec le monde puisque ceux-ci jonglent entre interdictions partielles, totales et optimisation des coûts de l’électricité notamment.

Le bitcoin est-il nécessairement mauvais pour la planète ?

Essayons de résumer les dynamiques écologiques qui font vivre le bitcoin.

  1. Le bitcoin est bien énergivore au sens où une utilisation extensive de l’énergie le rend plus stable et consensuel ce qui est la principale caractéristique recherchée
  2. Le bitcoin ne consomme de l’énergie qu’à travers les écosystèmes énergétiques des miners qui le font tourner. Ces écosystèmes sont variés et ne répondent qu’à des préoccupations légales et économiques
  3. La pollution au carbone n’est liée au bitcoin que parce que certains pays offrent une électricité peu chère, parfois subventionnée, sans considération écologique, dans un contexte global où les énergies renouvelables sont devenues les moins chères sans tenir compte des coûts de stockage

Peut-on dès lors imaginer un bitcoin propre dans le futur ? Pour cela, il faudrait que les énergies renouvelables soient plus compétitives que toute autre forme d’énergie dans les pays qui autorisent encore le minage. Cette problématique n’est pas de la responsabilité du bitcoin mais est un sujet mondial urgent dans la course contre le réchauffement climatique.

Comme affiché dans le graphique ci-dessous, les coûts de l’énergie renouvelable ont considérablement diminué en 10 ans. Le photovoltaïque et l’éolien sont les énergies brutes les moins chères.

Energy Prices

https://ourworldindata.org/cheap-renewables-growth

Pour avoir une vue complète, il faudrait analyser le coût de l’énergie en débit constant car l’intermittence n’intéresse ni les pouvoirs publics ni encore moins les miners. Et sur ce volet, les énergies renouvelables ne disposent pas encore d’un coût de stockage suffisamment faible pour être compétitif face aux centrales à gaz notamment. On considère qu’il faut un prix de $20 au kWh pour du stockage pour atteindre le niveau de coût de l’énergie discontinue d’une centrale nucléaire. Le stockage des batteries Lithium-ion est aujourd’hui (2021) autour de $132 au kWh comme on peut l’extrapoler du trend du graphe suivant à 2018 :

Lithium-ion Batteries Price

https://ourworldindata.org/cheap-renewables-growth

Pour être compétitif sans taxe carbone par rapport à une centrale à gaz cette fois-ci, le coût du stockage devrait être de $5 par kWh, soit quasiment un ordre de grandeur de moins par rapport à ce que nous savons faire de mieux aujourd’hui que ce soit des batteries Lithium-ion ou des batteries plus adaptées à ce type de stockage car sans contrainte de volume ou de poids (notamment celles non destinées à de la mobilité).

Il faut donc s’attendre à ce qu’en l’absence de réglementation contraignante, certains miners continuent d’utiliser des énergies polluantes car moins chères pour faire tourner le bitcoin.

Mais nous pouvons aussi voir les choses positivement : l’appétit des miners de bitcoin pour de l’électricité abordable peut être un catalyseur supplémentaire du développement des énergies renouvelables. C’est un argument fréquemment avancé par les soutiens du bitcoin car la structure de coût du minage de bitcoin est très fortement tirée par l’électricité. De 30 à 70% selon l’article suivant de 2017 qui décrit l’expérience d’un miner américain qui a fait un breakdown de ses coûts de mining en 2018. La start-up française BigBlock parle elle de 60 à 90% des coûts d’électricité dans les coûts totaux. Avoir une structure de coût aussi fortement dépendante de l’électricité est un driver très fort pour chercher à disposer à tout prix d’énergie peu chère.

Un autre argument en faveur du bitcoin invoque l’utilisation d’énergie “déchet” par les miners. Cela peut être une énergie tirée des rejets de l’industrie pétrolière et gazière, de centrales à gaz naturel ou de l’excès d’électricité de micro-réacteurs nucléaires.

Ma conclusion personnelle

Deux éléments de compréhension importants retiennent mon attention dans toute cette analyse :

  1. Le protocole proof of work s’appuie sur l’énergie pour construire sa robustesse
  2. Le rapport entre valeur sociétale apportée aujourd’hui à l’humanité et énergie consommée par la blockchain du bitcoin reste très faible

Ces deux facteurs me font dire que le bitcoin devrait changer de protocole et développer ses usages afin de justifier son fonctionnement a priori délirant. Mais pour le premier point, est-ce seulement possible ? De nombreuses autres blockchains switchent vers des protocoles plus efficients mais qui n’égaleront jamais la simplicité et la force du proof of work. Concernant le deuxième point, il est à prévoir que la blockchain du bitcoin devienne une réserve de valeur “lente” comme l’or physique dont le minage et le transport sont chers. Ce sont les layers/couches (prochain article) complémentaires du bitcoin qui prendront normalement le relais pour en faire une blockchain du quotidien comme ce qui se fait au Salvador.

Quant au sujet du CO2, il reste à espérer que l’industrie énergétique se décarbone le plus rapidement possible afin que le mining du bitcoin puisse en profiter également. Il me semble bon que les régulateurs interdisent le mining de bitcoin là où celui-ci pourrait nuire à des activités économiques ou perturber les réseaux électriques comme au Kosovo ces derniers jours. Il serait aussi opportun que les pays qui disposent de ressources énergétiques propres favorisent le minage de bitcoin voire le subventionnent car cela rendra l’utilisation d’autres sources d’énergies carbonées moins rentable et pourrait contribuer à verdir l’activité de minage mondiale.

Le bitcoin a été pendant un temps une usine à CO2 mais est en voie de ne plus l’être grâce au boom des renouvelables et à des régulations nationales de plus en plus restrictives qui considèrent que le mining des crypto-monnaies proof of work comme le bitcoin n’apporte pas plus que des devises sous forme d’une exportation cachée de l’énergie.

Sources

Note

Cet article a uniquement pour but d’éclairer sur des aspects méconnus du bitcoin. Pour toute remarque ou correction, je serais heureux d’en débattre et de corriger cet article si besoin