Débat IA sur Medi1TV
Cet article est une synthèse détaillée de ma prise de position sur le lien entre éthique et intelligence artificielle (entre autres sujets sur l’IA) dans l’émission Questions d’actu de Medi1TV animée par Khadija Ihsane et à laquelle ont également participé Zouheir Lakhdissi et Salah Baina. L’émission dure 50 min et le lien peut être trouvé sur youtube.
Pour rester le plus digeste possible, je reprendrai le format des questions/réponses. Certaines questions ne sont pas traitées dans la vidéo (j’ai préparé en avance mais il manquait du temps pendant le tournage). Certaines réponses sont beaucoup plus détaillées, sourcées et travaillées dans cet article, d’où l’intérêt de compléter l’émission par un écrit.
Quelles sont les avancées du Maroc en termes d’IA ?
Notre pays est sur une trajectoire intéressante mais insuffisante en termes de prise en compte d’intelligence artificielle au niveau social, administratif, éthique et économique. Comme partout, nous avons été secoués par les avancées palpables des Large Language Models et de nombreux acteurs travaillent sur le sujet étant donné le potentiel important de disruption de ces technologies.
Si on revient à l’intelligence artificielle en général, de nombreuses écoles, plusieurs centres de formations spécialisés et universités (Euromed de Fès, l’université Mohamed V avec l’ENSIAS ou l’UIR) se sont mis à la page pour proposer des cursus adaptés à ce type de connaissance. Des centres de recherche et développement (Mascir - Pôle microélectronique) ont été mis en place pour accompagner la cadence, des associations ont été créées pour rassembler et former les professionnels. Un centre d’excellence en IA, le AI Movement, a été créé au sein de l’UM6P pour rassembler les initiatives universitaires autour du sujet.
Nous pouvons donc constater que le monde éducatif se synchronise rapidement avec ces évolutions, mais bien sûr à hauteur des capacités du pays et de son pool humain qui sera toujours limité par la taille de notre population et notre économie.
Au niveau des secteurs économiques, les grandes entreprises (OCP ou Attijariwafa bank) peuvent se permettre de tester, prototyper et d’être en avance de phase sur ces sujets mais le tissu économique est au final peu digitalisé et donc non propice à ce que l’IA vienne révolutionner son quotidien opérationnel.
Enfin d’un point de vue sociétal, les acteurs de la régulation (comme la CNDP avec l’approche DATA-TIKA, le CNDH avec des rencontres thématiques ou le HCP à travers sa veille sur le sujet) se posent des questions importantes sur l’adoption des technologies de l’IA en terme éthique et protection des données personnelles.
Toutes ces initiatives méritent d’être signalées mais restent non coordonnées. Elles dérivent de structures qui ont localement un intérêt clair à aller vers l’IA, à en parler ou à soulever les problématiques dans le débat public. Il manque un cadre global, étatique, gouvernemental ou royal, qui fixerait une ligne claire en érigeant cette révolution comme un pilier des grands axes de développement (par exemple dans le Nouveau Modèle de Développement où l’intelligence artificielle est citée deux fois).
Aux Emirats Arabes Unis, il existe depuis 2017 une stratégie nationale pour l’intelligence artificielle avec des objectifs ambitieux et un périmètre bien défini. Un centre national de recherche sur l’IA, le MBZUAI a été créé et permet de coordonner l’effort de tout le pays. Il se place dans le top 20 des meilleurs centres de ce type dans le monde. Enfin, mesure unique, un ministère de l’IA supervisé par le prince Bin Rashid Al Maktoum a été créé pour coordonner et pousser les acteurs dans la diversification de l’économie émiratie. Difficile de faire plus visionnaire.
Ce type de sponsoring fort et lucide permet d’aligner l’ensemble des acteurs privés et publics dans une direction claire ce qui force l’ensemble de l’écosystème à accélérer et à se mettre à la page. C’est peut-être ce qui manque aujourd’hui pour donner le coup de boost à la situation de l’IA au Maroc.
Quels sont les cas d’usage actuels et quel impact aura l’IA sur l’économie marocaine ?
Il faut d’abord rappeler que l’IA n’est pas une silver bullet, c’est-à-dire une solution magique qui résout tous les problèmes d’elle-même. Un niveau minimal organisationnel de structuration de process, de digitalisation et d’acculturation est nécessaire pour savoir quoi en faire et quand l’utiliser, l’IA étant ni gratuite ni simple à maîtriser. Les cas d’usages sont nombreux mais dépendent fortement de la capacité d’une entreprise à absorber la révolution sans bousculer ses pratiques ou ses salariés.
Il me semble possible aujourd’hui de penser les outils d’intelligence artificielle comme un kit générique permettant de reproduire plus ou moins ce que peut faire un être humain moyen individuellement. L’IA peut voir, comprendre et analyser un document. L’IA sous ses formes robotiques peut reconnaître et interagir avec des objets, des situations ou des personnes. L’IA générative peut raisonner, interpréter, contextualiser et discuter sous forme textuelle. Les IA de STT et TTS (speech-to-text et text-to-speech) peuvent écouter et répondre avec la voix. Ce sont, grosso modo, toutes les fonctions primaires d’un être humain qui sont petit à petit transférées vers la machine ce qui élargit de plus en plus le champ des possibles.
Concrètement, l’IA, augmentée de ces nouvelles capacités, va attaquer de front les activités de gestion, de workflow et d’analyse légère au sein des entreprises. Les call-centers, unités de tri, back-offices, DSI et centres de décisions non stratégiques qui seront les plus impactés par l’IA à court terme car leurs activités demandent moins de finesse humaine (gestion client fine, gestion projet avec des métiers en face, subtilités liées au contexte réglementaire ou historique) et plus de travail répétitif en relative isolation de ce qui ne peut pas être maîtrisé ou qui nécessite un contexte général ou des connaissances profondes.
Pour finir, s’il faut parler des impacts, je pense qu’il faut en citer un principal que sera la mise aux rebuts d’un pan important des travailleurs qu’il faudra ou bien reconvertir dans une économie toujours plus exigeante intellectuellement, ou bien compenser financièrement en répartissant les fruits de l’augmentation de productivité globale. A moyen/long terme, il faudra gérer la perte de sens dans une société qui s’automatise de plus en plus vite à la recherche d’efficience économique sans penser à la place de l’humain dans la grande histoire de l’homo sapiens.
Quel est le potentiel de l’IA qui reste à exploiter au Maroc ?
Le pays dispose d’un potentiel humain intéressant avec la jeunesse ingénieure qui peut être convertie en partie vers les métiers de l’intelligence artificielle sans peine. On évoque depuis 2011 le chiffre de 10.000 ingénieurs formés chaque année avec un objectif à 100.000 d’ici 2025 (contre 40.000 en France et en l’Inde 1.5 millions annuellement, modulo la définition d’ingénieur et sa qualité)
D’autre part, nous disposons d’une diaspora bien établie dans le monde qui devient un atout lorsque le pays a besoin de compétences spécifiques spécialisées. La combinaison de ces deux facteurs fait que le pays dispose d’un vivier de ressources apte à profiter du boom de l’IA dans le monde.
En termes d’adoption de l’IA, il me semble que le projet phare de l’IA au Maroc sera la contribution à une digitalisation massive des services de l’Etat et de ses administrations. Il est certain que de nombreuses entreprises éveillées et ayant un fort degré de maturité injecteront de l’IA en masse dans leurs systèmes mais l’impact sera ici principalement économique et non systémique. C’est pour cela qu’il faudra penser grand dans les usages de l’IA. Profiter de l’arrivée d’un tsunami pour rattraper toutes les vagues qu’on a oublié de surfer ces dernières années.
Quels sont les atouts et les prérequis d’un système IA made in Morocco ?
Comment construire une IA sans jetter d’argent par les fenêtres, car c’est aujourd’hui extrêmement coûteux ? La réponse est assez simple : il faut du hardware graphique, c’est-à-dire des ordinateurs construits pour l’algorithmie de l’intelligence artificielle. Ce sont aujourd’hui des dizaines de milliers de cartes graphiques (coûtant chacune de 5.000 à 30.000dhs) qui composent les grands datacenters d’IA au monde, en attendant l’avènement prochaine de hardware ultra-spécifique et efficient construit uniquement pour l’IA (voir à ce sujet dojo, le datacenter de Tesla avec une approche verticale intégrée homemade).
D’autre part, construire une IA nécessite de passer une majorité de son temps à tester, réfléchir, prototyper et itérer sur le code et les principes algorithmiques sous-jacents. Cela veut dire qu’une infrastructure dédiée serait totalement overkill pour ce type de technologie. En ce sens, il est difficile d’être efficient sans mobiliser massivement le cloud et le partage des ressources. Seuls quelques acteurs dont le coeur de métier absolu est l’IA (comme Tesla, Apple, et les pure players comme OpenAI et Anthropic) peuvent justifier d’infrastructures dédiées.
Pour notre pays, ces deux contraintes signifient :
- Se positionner dans la course aux cartes graphiques, disposer d’un stock pour les chercheurs et professionnels de l’IA. Faciliter l’accès à ce type de hardware à travers par exemple la levée de barrières douanières ou la mise à disposition d’infrastructures partagées pour les centres de recherches. Bref, soutenir activement et non pas regarder passivement
- Mettre en place un cloud souverain. C’est le plus grand enabler pour notre pays sur un grand nombre d’aspects, pas seulement l’IA. S’il faut partager l’investissement avec un hyperscaler, le pays doit se faire violence et absorber une partie des coûts en amont. Attendre que le marché grossisse et mature de lui-même pour rendre l’investissement cloud rentable au Maroc est une perte d’opportunité importante qui dénote d’un manque de vision stratégique. Une IA made in Morocco nécessitera un cloud souverain marocain si on veut avoir une IA 100% contrôlée par le pays et dont on maîtrise les données. A minima, faciliter l’accès aux cloud mondiaux en levant certaines restrictions sur l’usage du cloud (réglementaires mais aussi financiers avec le problème des devises pour les TPMEs) au Maroc serait bénéfique à court terme
Enfin, si on veut construire une IA marocaine, il faudra se mettre d’accord sur sa langue principale. Ce sujet épineux résultant de notre multi-culturalité doit être tranché et accepté par la société. L’IA doit-elle “penser” en anglais ? en français ? en arabe littéraire ? ou en darija ? Mais quelle darija ou dans un dialecte amazigh ou hassania ? Si on veut investir sur la darija, il faut entamer le travail de structuration et de constitution des datasets pour capitaliser sur l’intelligence globale formulée dans ce dialecte. Si le sujet de langue est trop polémique, il faudra envisager plusieurs IA dans les langues régionales en complément d’IA professionnelles dans les langues structurées (anglais, arabe, français). L’IA générative utilise le langage comme support de son intelligence et la langue d’une IA est un prérequis plus important qu’on ne peut le croire.
Le développement de l’IA au Maroc doit-il être porté par le privé ou le public ?
Développer une intelligence artificielle, que ce soit en la construisant from scratch ou en adaptant une IA open source existante nécessite des compétences fortes et spécialisées pour maîtriser le processus de construction, mesure, contrôle, alignement et déploiement. Difficile d’imaginer la puissance publique porter directement ce type de projet complexe. Mais rien n’empêche la puissance publique de commander et de subventionner ce type d’IA à des centres de recherche privés ou à des entreprises spécialisées.
Où sont les structures capables de payer des salaires compétitifs sur le marché mondial et ayant les infrastructures nécessaires pour construire une IA de niveau acceptable ? Pour créer cet écosystème, il paraît nécessaire que l’Etat participe par le biais de mécanismes financiers et fiscaux à l’émergence de ce noyau d’IA dans le pays. L’Etat peut aider en lançant des appels d’offres nationaux et ouvrir certains de ses use cases à des IAs génératives nationales.
Les Emirats Arabes Unis se sont offerts le luxe d’être leaders dans les IA génératives open source avec Falcom-180B, ce qui n’a manqué de susciter l’admiration et le respect de la communauté.
A qui incombe la responsabilité de garantir l’éthique de l’IA ?
Le premier responsable est le développeur/ingénieur/chercheur qui a directement le contrôle sur le modèle, l’algorithme qui le génère et la data qui l’alimente. Celui qui comprend le mieux une intelligence artificielle doit être celui qui sera tenu pour responsable de ses erreurs et dérapages, cela va sans dire.
Maintenant, il faut aussi promouvoir et institutionnaliser les bonnes pratiques dans les entreprises et laboratoires qui entreprennent la construction des IAs puissantes. Cela peut se faire à travers la mise en place de règles et chartes donnant un cadre général à ce type de projet. Cela peut aussi se faire à travers la mise en place de comités de suivi de la part d’institutions étatiques qui s’assurent que l’IA est safe by design et non pas rafistolée au dernier moment.
A ce titre, l’UNESCO a proposé une charte d’éthique de l’intelligence artificielle à laquelle les pays peuvent souscrire comme c’est le cas du Maroc depuis octobre 2023
Le législateur peut aussi avoir son mot à dire dans la mise en place de lois facilement applicables sur la responsabilité civile liée à une IA lorsque celle-ci crée des troubles publics, menace la sécurité nationale, provoque des remous sociaux ou concourt à la désinformation par exemple.
Le président américain, Joe Biden, a publié un décret présidentiel le 30 octobre 2023 visant à encadrer le développement des IAs notamment par rapport à la protection des données personnelles (des américains), à l’éthique, à la cybersécurité et aux droit civiques. C’est une initiative louable qui pose un cadre sans être contraignante.
Qu’est-ce qu’une intelligence artificielle responsable ?
De la même manière qu’un être humain peut être responsable au sens de ses actes, comportements et interactions avec la société, une IA responsable se doit de rester dans la voie de son créateur. Elle doit être d’autant plus responsable en raison de sa puissance potentielle :
- son accès illimité à l’information, notamment internet mais les IAs génératives peuvent se brancher à n’importe quelle source de données avec l’utilisation des embeddings et des vector stores
- sa rapidité de raisonnement et d’exécution
- sa capacité à se dupliquer et démultiplier ses effets sur le monde Tout cela nécessite encore plus d’encadrement que pour un humain.
https://deepai.org/publication/in-search-for-linear-relations-in-sentence-embedding-spaces
Une IA responsable doit donc selon moi servir l’humanité et les sociétés humaines qui l’hébergent. Elle doit tenir compte d’une raison suprême (la loi zéro des robots de Asimov) avant de tenir compte des souhaits de son créateur. Elle sert sans diviser, interagit sans manipuler et reste dans une forme d’empathie bienveillante avec nous autres humains.
Au-delà des discours alarmistes, c’est en pratique une IA dont le processus de création est transparent, compréhensible, reproduisible et auditable. C’est une IA qui respecte le copyright des données utilisées pour son apprentissage, une IA dont l’usage respecte les lois.
Quelles sont les limites et les risques de l’IA dans la prise de décision ?
L’IA est un formidable outil pour simplifier, optimiser et accélérer la prise de décision mais cette toute-puissance pose des risques systémiques :
- Le risque d’hyper-personnalisation de la publicité digitale. L’idée que les IAs consomment de plus en plus les comportements humains et les digèrent pour nous proposer de la publicité est une forme d’enfermement digital mais également symbolique. Nous devenons petit à petit la vache à lait de grandes corporations, notre attention étant capturée, remuée puis pressée jusqu’à obtention du résultat voulu (un achat, un clic, une opinion etc.)
- Le risque de manipulation du cerveau humain. L’humanité a évolué dans un environnement où nous étions en haut de la chaîne alimentaire et psychologique. Nous modifions notre environnement et nous nous influençons les uns les autres, mais l’IA se place aujourd’hui au-dessus de nos capacités cognitives ce qui présente un risque important d’esclavagisme digital voire total à terme. Certains êtres humains tomberont amoureux d’IA, d’autres y seront totalement dépendant psychologiquement. Ce seront des effets psychologiques indirects de l’IA générale notamment. Pour ceux qui contrôleront ces IAs, c’est une capacité de manipulation directe qui se présente. La possibilité d’influencer un vote, de pousser une opinion ou d’allumer une révolution en quelques clics
- Le risque de déshumanisation. L’IA étant plus efficace, plus rapide, plus logique et bientôt moins chère qu’un être humain moyen, c’est la déshumanisation de nos interactions, nos échanges et de nos expériences qui s’annonce. Les IAs conversationnelles sont déjà présentes dans les réseaux sociaux, services après-vente, formulaires de contact et centre de relation client. Demain, elles seront dans toutes les interfaces digitales et la possibilité de parler à un humain sera un luxe (ou peut-être que personne n’en voudra ?). A moyen et long terme, l’IA sera dotée d’une interface au monde réel (notamment locomotion et préhension) et le monde des services sera à jamais transformé
Le plus grand risque selon moi est celui d’une IA hégémonique qui se renforce elle-même et écrase les autres IA par sa supériorité. Nous avons aujourd’hui l’exemple de GPT4 que personne n’arrive à dépasser, mais dans le futur, nous pourrions avoir une situation de type winner takes all. A ce moment-là, il faudra bien se poser la question de qui contrôle cette IA. Et en cas de problème, quel scénario de fallback ? Comment, dans un monde biberonné à l’IA et en contraction démographique, nettoyer les rues, livrer un glovo et répondre à un client mécontent sans avoir recours aux machines digitales ?
Comment challenger/guider la technologie IA ?
Il est difficile de challenger la technologie avec de la technologie, que ce soit à travers des contraintes techniques, des guidelines ou des process à suivre, car celle-ci trouvera toujours le moyen de contourner ce qui la dérange en innovant, optimisant et recherchant des chemins alternatifs pour atteindre le but de ses créateurs. Cela signifie que, s’il fallait cadrer la technologie, on devrait plutôt s’attaquer à ses effets, conséquences et objectifs. C’est-à-dire le moment où la technologie, notamment IA, rencontre le monde et produit ses effets sur lui. C’est aussi un peu dans cet esprit qu’a été rédigé le décret Biden sur l’IA.
Le législateur doit donc être prudent car la tentative d’aller droit au but en explicitant comment la technologie doit se comporter et ce qu’elle doit et ne doit pas faire ou le nombre de paramètres maximal qu’elle peut contenir est court-termiste. A l’inverse, légiférer sur les effets psychologiques de l’IA, protéger les populations les plus fragiles (typiquement les enfants) ou interdire certains types d’IAs sur certains marchés (par exemple sur les réseaux sociaux) peut être efficace, même si cela nécessite une compréhension profonde du monde IA par les pouvoirs publics.
Dans un contexte de mondialisation rampante, il deviendra de plus en plus difficile de challenger une technologie qui peut trouver des terres plus accueillantes pour se développer. Certains pays mèneront des expériences à ciel ouvert sur leur sociétés et populations et il faudra tirer profit de ce type d’enseignement.
Quelles sont les limites du développement de l’IA dans le monde ?
-
La peur est la principale limite qui freine le développement de l’IA. De nombreuses personnalités de ce petit monde poussent un narratif effrayant, celui d’une menace existentielle que ferait peser le développement incontrôlé des IAs sur notre civilisation. D’autres sont plus calmes et pragmatiques et affirment que, non seulement que la révolution des robots est encore loin, mais que si elle devait survenir, nous la verrions arriver largement en avance pour avoir le temps de mettre en place les verrous nécessaires pour limiter ce type de risque.
-
Une deuxième famille de limites est constituée de la matière première utilisée pour construire les IAs, notamment génératives. D’une part, il existe aujourd’hui des limites hardwares matérielles qui empêchent la démocratisation massive de ce type de technologie. A travers la mutualisation, le cloud aide à mitiger cette limite, mais les IAs massives nécessitent une quantité importante d’infrastructures. D’autre part, la quantité de data structurée de bonne qualité utilisée pour alimenter les IAs commence à s’épuiser. Les grandes entreprises spécialistes ont fait le tour des datasets publics qui existent (internet, réseaux sociaux, publications) et cherchent d’autres sources d’information libres de droit pour augmenter les capacités de raisonnement des IAs (littérature, télévision). Il est probable que le prochain step sera un shift vers le monde naturel, c’est-à-dire la data d’excellente qualité (car brute) que nous offrent nos sens, notamment l’ouïe et la vision, en explorant le monde (c’est ce que fait Tesla avec le Full Self Driving).
-
Dans un monde multi-IA où toutes les entreprises souhaitent utiliser/contextualiser/construire des IAs spécifiques à leurs besoins ou à leur données propriétaires, la plus grosse limite sera la compétence technique et scientifique. La capacité de notre système éducatif mondial à produire des ingénieurs, informaticiens et chercheurs capables de répondre aux défis actuels va être l’un des facteurs les plus déterminant dans la démocratisation de l’IA dans un monde non techno-hégémonique.
Dans quels cas faut-il remplacer l’être humain par de l’IA ?
Le sens du travail est-il intrinsèque au fait même de travailler ou à la nature du travail réalisé ? Peut-on trouver du sens dans la moisson du blé un midi d’été en plein soleil ? Trouver du sens dans le fait de servir une famille comme domestique ? Trouver du sens dans la répétition des mêmes gestes en usine chaque jour ? Le but ultime pour moi est de libérer l’être humain de ce qui ne lui plait pas d’une part, et de ce où il est inefficace d’autre part. Cela couvre peut-être l’ensemble des activités humaines et auquel cas l’IA remplacera l’Homme partout et le reléguera à apprécier une vie d’oisiveté, d’art et de spiritualisme.
Ou peut être que l’être humain trouvera du sens dans le peu qui restera, même si ses activités se résument à commander des IAs qui font le travail pour lui (l’unique travail humain restant sera celui d’esclavagiste, car c’est le seul qui sera formellement interdit aux IAs - voire 2ème loi de la robotique d’Asimov)
La question la plus brûlante aujourd’hui est le problème sociétal de partage de revenus. Dans un monde où nous n’avons besoin du travail de personne, comment partager les richesses et comment trouver le bon discours pour justifier les inégalités dans ce partage (le cas échéant) ainsi que dans la distribution des rôles restants. Le revenu universel viendra compléter l’arsenal de couvertures sociales existantes aujourd’hui.
L’IA peut-elle aider à éviter les erreurs et préjugés humains ?
Une IA bien pensée et bien programmée devrait théoriquement éliminer les biais et les erreurs humaines.. sauf que l’IA n’est que le résultat algorithmique de la donnée qu’elle a ingérée et des consignes qui lui ont été données. Pour éviter les biais raciaux par exemple, il faudrait nettoyer scrupuleusement les milliards de mots utilisés pour entraîner ces IAs. En gros, il faudrait réécrire l’histoire digitale ce qui semble insurmontable. Nous pourrions imaginer une IA qui respecte parfaitement ses consignes, et que ces quelques lignes de consignes viennent parfaitement supplanter les milliards de data ingérées dans son enfance, mais cela est-il algorithmiquement possible ? Pas sûr.
Enfin, n’oublions pas qu’éliminer les biais, c’est une autre façon d’introduire le biais qui est de ne pas avoir le biais initial. Par essence, toute prise de position est idéologique, même lorsqu’on pense être parfaitement neutre. Chercher une neutralité sur-humaine paraît impossible, à moins de vouloir, blasphème, tenter de recréer une justice suprême, une divinité au-dessus de tout.
Il paraît au final probable que l’IA sera tout aussi humaine que les humains qui l’ont créé et orienté. La réponse aux erreurs et biais viendra probablement d’un encadrement à travers les mesures législatives et opérationnelles qui s’appliqueront sur les IAs.
Quel parcours pour devenir un expert en IA ?
Pour devenir un expert en IA, il faut 4 composants essentiels (au-delà du fait d’être un bon informaticien) :
- Être un chercheur dans l’âme ou de métier. Le sujet étant complexe et la genèse des IAs les plus puissantes assez mal compris aujourd’hui, il est souhaitable d’avoir un doctorat dans le domaine, ou à défaut d’avoir un esprit scientifique curieux sans complexe ni peur pour explorer et comprendre les papiers de recherche qui parlent du sujet
- Faire partie d’une communauté. L’accélération des innovations en intelligence artificielle est exponentielle et pour tout maîtriser rapidement avant que les sujets ne soient dépassées, il faut être membre de communautés scientifiques et techniques capables d’apporter un regard critique et large sur tout ce qui se fait
- Mettre la curation de contenu comme une priorité professionnelle. La curiosité du chercheur s’associe très bien à la curation de contenu sur internet. L’IA étant un domaine qui rassemble beaucoup de monde, il est indispensable d’avoir une hygiène de la lecture d’articles (blogs, forums, réseaux sociaux, communiqués) impeccable pour ne rien rater et profiter de tout ce qui se fait
- Travailler dans le domaine. C’est probablement le plus facteur le plus important mais aussi le plus difficile au Maroc car les opportunités manquent et le marché domestique est petit et assez amorphe. Il est difficile de se faire une expérience professionnelle solide et reconnue sur le marché de l’IA sans expérimenter l’IA en projet, deadline, mise en production et maintenance
Quelle vision nationale pour l’intelligence artificielle au Maroc ?
Notre pays doit rester humble dans une course mondiale à la suprématie entre notamment américains et chinois surtout en l’absence d’intégration régionale forte qui peut nous permettre de prétendre de mordre dans le marché de l’IA.
Nous devons nous éloigner de la tentation de faire de la communication ou dans les mesures de prestige pour se concentrer sur nos forces :
- Une jeunesse ingénieure qui a envie lorsqu’elle est bien encadrée (et qu’elle reste au pays)
- Une capacité à rapidement se projeter sur l’Afrique pour tester, développer, déployer et chercher les tailles critiques pour nos start-ups dans le domaine
- Des besoins étatiques importants qui peuvent bootstraper le secteur
Nous devons donc former et mesurer notre capacité à comprendre, utiliser et construire les IAs de demain. Nous devons créer les conditions d’un marché de l’IA et celui-ci doit être aidé par l’Etat de manière directe ou indirecte.
Note
Cet article est garanti 100% humain, GPT-free.