Primo-auteur ou syndrôme de l'imposteur ?
J’aimerais vous parler d’une expérience enrichissante qui m’a suivi cette année, une petite aventure personnelle qui me semblait inaccessible depuis ma plus lointaine jeunesse et dont j’effleure enfin les dédales : devenir auteur.
Qu’est-ce qu’un auteur ? Comment le devient-on, le vit-on ? Et what’s next ? Petit retour d’expérience personnel de ces derniers mois pour tenter de répondre à ces questions.
L’auteur, cette figure légendaire
Ayant été un grand fan de lecture de science-fiction quand j’étais adolescent, mais également amateur de lectures plus diverses (religion, développement personnel, macroéconomie) plus tard dans ma vie, j’ai toujours vu l’écrivain comme une figure lointaine, abstraite et idéalisée.
Lointaine car nous, marocains, avons rarement dans nos familles et notre entourage proche des gens qui écrivent. Nous n’avons pas, je pense, collectivement la culture de l’écriture, pour ne pas dire la culture du livre malheureusement. C’est selon moi une tristesse infinie que de découvrir que nos concitoyens ne passent pas plus de 2 minutes par jour de lecture en moyenne, contre plus de 2 heures pour la télévision (HCP, 2016). Ces chiffres n’ont pu que se détériorer depuis avec l’arrivée fracassante des applications tiktok-like, véritables puits sans fond chronophages et tourbillons carnassiers de l’attention.
Le marché de la publicité en ligne sur les réseaux sociaux (principalement mobile) tel qu’illustrée dans le graphe ci-dessous est un excellent proxy du temps de cerveau perdu dans des activités addictives cérébrophages. L’augmentation exponentielle des dépenses sur ce marché (pour une évolution, je pense, modeste de la population cible concernée) dénote d’un shift massif de nos sociétés vers ce type de média (au détriment de la télévision, la lecture, le sport, la marche, la sociabilisation etc.). Pour caricaturer grossièrement, chaque dollar injecté dans ce marché est une minute volée à la jeunesse d’un enfant. Il est loin le temps où nous nous extasions de longs instants sur une ennuyante colonne de fourmis de jardin.
L’auteur est également une figure abstraite car, je trouve, rarement médiatisée dans notre société. Où est l’intellectuel universitaire dans nos débats télévisés, dans nos tribunes journalistiques et dans les posts viraux des réseaux sociaux. L’accès à l’information s’est accompagné d’un droit à la parole universel qui noie les sages paroles de ceux qui ont lu, réfléchi et écrit dans un brouhaha infâme où tout le monde est entendu mais personne n’est écouté. J’ai en tête particulièrement les grands débats à la télévision française avec ses saillies légendaires, remplacée progressivement par la télé poubelle, quand aujourd’hui, le repli identitaire phagocyte le débat et étouffé les grands penseurs au profit des charognards médiatiques. À défaut, je m’identifie aujourd’hui aux technologistes anglo-saxons les plus renommés sur les sujets spatial, énergie, climat et bien sûr intelligence artificielle.
Enfin, il me semble que l’auteur est aussi une figure idéalisée car vu comme un vecteur de rêve et de miracle, comme le pourvoyeur d’une bouée de sauvetage qui nous aide à fuir la réalité. Je pense surtout à Isaac Asimov et à sa suite La Fondation dans laquelle j’ai pu voyager à travers la fédération galactique sans sortir de ma chambre d’adolescent. J’imaginais alors Asimov comme une sorte de génie à l’imagination débordante, si réaliste et profonde que je ne pouvais qu’admirer son créateur. L’écrivain est celui qui énonce de grandes vérités sur des sujets complexes après avoir posé un raisonnement détaillé et élaboré. Il synthétise pour son lectorat la sagesse humaine et lui permet d’accéder à un niveau supérieur de compréhension et de conscience.
Petit à petit, l’humain fait son livre
C’est en publiant dans ce même blog que j’ai appris à apprécier le travail d’écriture. Trouver le temps de penser, de chercher, d’écrire, de reformuler et de publier. Donner du soin à chaque mot, chaque phrase, chaque paragraphe jusqu’à ne plus en pouvoir. Se relire quelques mois plus tard avec l’œil externe de celui qui a la mémoire courte et se dire “ah tiens c’est intéressant comme idée ça”. Écrire est un rituel qui demande beaucoup de patience, de volonté et de recherche.
Rédiger les 7 articles les péchés capitaux du bitcoin a demandé à peu près un an de travail pendant lequel j’ai pris soin de compiler près de 400 ressources pour alimenter ce que j’écrivais mais surtout ma propre réflexion et mes convictions. L’écriture est pour moi une aventure de laquelle on sort grandi. Elle n’est pas seulement un étalage de connaissances préalables mais l’occasion d’approfondir un sujet progressivement dans une démarche personnelle de curiosité avec un objectif clair et rewarding : partager à son lectorat sous la forme la plus adaptée.
Les 7 articles ont donc été pour moi une plongée historique fascinante dans le monde des cryptomonnaies et je voulais en faire plus par rapport à la publication sur un blog :
- Retravailler le contenu avec la rigueur nécessaire pour une publication à plus large audience que le petit millier de lecteurs mensuels de issam.ma
- Revoir la forme et notamment les graphiques pour ne pas avoir de contenu copyrighté (largesse possible pour les blogs critiques publics gratuits comme issam.ma)
- Re-vérifier les références et cross-checker une fois de plus les informations citées
- Vivre l’édition à travers ses contraintes et petites surprises
Après quelques semaines de relecture et de discussions internes (comprendre avec moi-même), je me suis convaincu qu’il fallait y aller bien que le temps investi ne serait jamais rentabilisé d’un point de vue purement financier.
J’ai commencé par la compilation des articles sous un format scientifique latex (ce fut une grossière erreur et perte de temps car, par la suite, l’éditeur me le demanderait en document word), format que j’apprécie tout particulièrement depuis la fin de lycée. Le manuscrit ainsi produit a alors été diffusé dans des cercles restreints pour une première relecture notamment pour ajuster le niveau de vulgarisation. À la clé, la réponse aux questions suivantes : “Que comprenez-vous ? Que retenez-vous ? La lecture vaut-elle le temps consacré ?”
Après cette première phase pour se rassurer, j’ai entrepris d’engager une relectrice professionnelle (française) pour peaufiner le manuscrit ainsi qu’un illustrateur (ukrainien) pour saupoudrer les chapitres d’images humoristiques. Le résultat m’a paru suffisamment honnête pour l’envoyer à quelques maisons d’édition parisiennes choisies au hasard avec Google.
Pour être honnête, je n’y croyais pas vraiment tant le sujet était technique et mon style d’écriture peu conventionnel. Mais après une semaine, le manuscrit était retenu par l’édition des Trois Colonnes et je commençai sur le champ à lire et relire le template de contrat d’auteur en pièce jointe de l’email de réponse.
J’étais soudainement devenu un auteur, par le biais de ce contrat magique qui m’ouvrait les portes de la fnac grâce au pouvoir du saint ISBN.
Peurs et inquiétudes
Tout de suite, je me retrouve face aux démons du primo auteur, les lancinantes interrogations qui parcourent sans répit le cerveau à toute heure de la journée :
- Mais est-ce vraiment un livre qui mérite d’être lu ? Le sujet crypto bouge tellement vite avec le buzz qui l’accompagne (prédiction qui s’est avérée totalement fausse dans l’ère de chatGPT) que mon livre sera dépassé. Le format blog n’était-il pas le seul adapté ?
- Les informations contenues dans le livre sont-elles exhaustives par rapport à un sujet complexe et multifacettes ? Il y a tellement de références qu’il se peut que je sois passé à côté d’une explication déterminante dans un des 7 péchés
- Le prisme marocain du livre convient-il à une publication francophone globale ? Le péché numéro 7 est-il trop africano-centré ? La posture critique est-elle trop évidente, sachant qu’un expert doit rester le plus neutre possible
- Est-il logique de publier un livre alors que les articles de base sont disponibles gratuitement sur internet ? Ou formulée autrement, le livre offre-t-il suffisamment de valeur ajoutée par rapport à issam.ma (SPOILER alert : j’ai ajouté deux chapitres et effectué de nombreuses corrections qui n’ont pas toutes été répercutées sur le blog)
Auteur, et alors ?
Mais voilà, j’y suis quand même allé. Après quelques allers-retours de correction et d’ajustement, le livre est publié puis en vente à la fnac et dans le réseau Hachette. Il est aussi disponible au format epub pour les fans de Kobo et Kindle. Et normalement, il devrait être disponible à Rabat dans la librairie livremoi en rayon. Je pense avoir été positivement transformé par cette aventure et aujourd’hui j’ai envie d’écrire plus car j’ai découvert que c’était un bon moyen d’apprendre de manière structurée. Je ne sais pas si j’aurai assez de matière pertinente pour publier un nouvel ouvrage, mais j’essaierai au moins d’augmenter la cadence d’écriture sur ce blog.
Enfin, je tiens à remercier tous ceux qui m’ont soutenu, je n’en citerai aucun sauf ma femme qui m’a aidé durant les longues soirées d’écriture des articles, et mon cher ami Mohamed Moullouze, compagnon de crypto-réflexion et auteur de la préface du livre. Merci.
Note importante
Cet article est garanti 100% humain, GPT-free. Car, qui pourrait prétendre d’un titre aussi noble que celui d’écrivain alors qu’il n’utilise plus ses propres mots pour véhiculer ses idées et images.
Photo credit
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