Cet article est dérivé des grandes idées que j’ai formulé pendant mon passage sur Luxe Radio (avec Badr Bellaj, Younes Tahiri et Hicham Benbella) dans l’émission Avec Ou Sans Parure datée du 16 décembre 2021. Elle est accessible sur l’application mobile de Luxe Radio avec comme titre “La blockchain : expliquer le complexe simplement…le débat !

Bonne lecture et peut-être aussi bonne écoute !

De la blockchain à la révolution du secteur financier

Lorsqu’on s’adresse à un public aussi large que celui d’une radio à une heure de grande écoute, il est impossible de s’arrêter sur les caractéristiques techniques de la blockchain. Il faut procéder par analogie pour faire comprendre l’essence de la disruption à tous ceux qui n’ont que quelques dizaines de minutes à y consacrer.

Et l’analogie la plus immédiate qu’on peut utiliser, c’est celle de l’intermédiation. En tant que marocains, nous sommes très familiers des intermédiaires que ce soit dans l’immobilier, dans les banques, dans le marché d’occasion des voitures et même dans l’administration. Les smasrias (intermédiaires) sont partout où il y a de la valeur, un déséquilibre en information et un manque de confiance. C’est sur ce dernier point que la blockchain tente d’agir : digitaliser la confiance en la déléguant à la cryptographie moderne associée à la décentralisation bien construite de la décision.

Boom ! Voilà la vraie révolution : pouvoir réaliser des transactions et échanger de la valeur avec des inconnus sans aucun intermédiaire. Difficile d’adresser directement le monde physique (appartement, voiture) ou légal (acte notarié) mais par contre les services financiers étant digitaux par essence sont dans la ligne de mire. C’est pourquoi on dit souvent que la blockchain est une révolution pour les secteurs banque et assurance.

Deux idées pour mieux appréhender la disruption blockchain

Idée n°1 : les propriétés physiques du monde réel dans le monde digital

Les lois de la physique nous garantissent la conservation de l’énergie dans un système isolé. Lorsque je donne une pièce de monnaie à quelqu’un, elle n’est plus dans mon porte-monnaie quoique je fasse. De la même manière, lorsque je reçois une pièce de monnaie de quelqu’un, j’ai la garantie que si je la mets dans mon porte-monnaie sans y toucher, elle y sera encore quand je rentrerai chez moi. Cette garantie est très utile pour pouvoir commercer et est tellement enracinée dans nos réflexes que même les animaux sont capables de comprendre ce concept d’impossibilité du double spending.

Dog and double spend

https://www.youtube.com/shorts/2teMCXeqS7I

Il est clairement impossible de supprimer la pièce du bénéficiaire ou de dupliquer la pièce du payeur.

  1. L’incapacité de supprimer est amenée par le côté immuable de la blockchain. Chaque nouveau bloc de la blockchain est construit cryptographiquement sur le précédent de telle manière que tout changement dans le passé invaliderait le présent. Ce qui est écrit ne peut plus être modifié
  2. L’incapacité de dupliquer est résultante du consensus issu de la décentralisation de la décision. Si une majorité d’acteurs de la blockchain sont de bonne foi, la blockchain n’acceptera pas que la pièce soit dupliquée. Inversement pour dupliquer la pièce, il faudrait convaincre/corrompre la majorité des acteurs pour qu’ils vous redonnent votre pièce

Le monde réel a ainsi déteint sur le monde digital. Par exemple avec la blockchain du bitcoin, sous réserve d’attendre la formation de quelques blocs (à peu près une heure), vous avez une structure de donnée totalement décentralisée et digitale qui épouse le monde physique d’une manière jamais vue dans l’histoire de l’humanité. C’est l’étincelle de la disruption blockchain.

Idée n°2 : le petit monde cloisonné de la blockchain

La blockchain est un pays en soi avec ses frontières physiques, sa réglementation des douanes ainsi que ses propres moyens de communication. La blockchain n’est pas dans le “cloud” (c’est-à-dire dans la croyance populaire partout autour de nous), ou encore dans une cinquième dimension de notre univers. C’est le contenu de machines qui communiquent entre elles et nous permettent d’interagir avec elles selon des modalités bien définies.

  1. Pour parler avec la blockchain, il faut avoir un “logiciel client”, c’est-à-dire un médiateur technique afin d’interpréter son langage
  2. Pour modifier la blockchain, il faut avoir la clé qui permet d’ouvrir la porte à celle-ci. Cette clé est une projection sous une forme cryptographique de l’identité d’une personne dans la blockchain
  3. La blockchain est totalement autosuffisante et ne nécessite aucune information extérieure pour fonctionner correctement

Il est parfois nécessaire d’alimenter des parties de la blockchain avec des informations du monde extérieur à celle-ci : prix des matières premières, météo, cours des devises, résultat des élections etc. On utilise alors des “oracles” qui sont des passe-plats entre le monde réel et celui de la blockchain.

Une blockchain attaquée

La blockchain du bitcoin est par exemple robuste tant que 51% de ses membres se comportent de manière honnête. Une manière d’attaquer la blockchain est de prendre temporairement son contrôle en déployant une puissance de calcul supérieure à 51% de la puissance totale de celle-ci. L’attaquant est alors capable de construire ses propres blocs au lieu de ceux du consensus honnête. En maîtrisant une partie des blocs, il contrôle la portion de la blockchain ainsi constituée et peut annuler des transactions temporairement. Les contreparties sont trompées à hauteur des sommes mises en jeu dans ces transactions.

La blockchain n’est pas un mythe inviolable mais une construction humaine. Le code qui régit son protocole change régulièrement selon une gouvernance bien définie, les serveurs de la blockchain (miner) tournent sur des machines dans des paysl’énergie est peu chère et la législation permissive.

Dam

Une blockchain peut en réalité être attaquée de nombreuses manières :

  1. Une attaque du consensus/protocole à travers la prise de pouvoir de 51% de la capacité de calcul
  2. Une attaque sur les hommes qui régissent son code (tout peut être imaginé ici en partant de la CIA jusqu’aux développeurs véreux)
  3. Une attaque sur la gouvernance en piratant les processus régissant les acteurs
  4. Une attaque physique sur les machines qui font tourner le code
  5. Une attaque sur les coûts en renchérissant le prix de l’énergie ou du hardware
  6. Une attaque réglementaire pour interdire le mining et/ou la détention de cryptomonnaie

La blockchain ne tourne que parce qu’un nombre suffisant d’acteurs acceptent de jouer le jeu et y trouvent leur intérêt. Les développeurs participent pour le prestige, la passion et pour préserver la valeur de leurs investissements en cryptomonnaie. Les miners font tourner la blockchain car celle-ci leur octroie une rémunération spéciale constituée de frais de transaction et/ou de récompense spécifique. Ces acteurs sont certes convaincus par ce qu’ils font mais ils doivent aussi payer les factures à la fin du mois. C’est autant de points faibles pour les organismes et institutions qui voudraient faire tomber une blockchain.

Les cas d’usages de la blockchain

Que fait-on avec une blockchain ? Une manière simple de voir les choses est de revenir aux mathématiques. Lorsqu’on est confronté à un problème difficile à résoudre tel qu’il est formulé, on opère une translation de ce problème vers un contexte qui permet plus de souplesse ou qui donne plus d’outils. Par exemple :

  • Pour faire des calculs en 2D, on va utiliser les nombres imaginaires x + iy plutôt que les coordonnées (x, y). Dans l’espace des nombres complexes ℂ, le calcul est plus facile et intuitif
  • Pour travailler sur des signaux complexes, il est plus simple de les transformer en leur composante de Fourier puis d’utiliser les propriétés pratiques comme la linéarité pour les manipuler que de rester dans l’espace de départ

La blockchain est également un nouvel espace qui permet d’être manipulé de manière plus facile et sécurisée, notamment à travers les smarts contracts qui sont les building blocks de cet écosystème.

Plutôt que d’envoyer de l’argent à quelqu’un à travers un portail bancaire et risquer le piratage de mon compte, une erreur technique, la non-réception de l’argent par le bénéficiaire, un double prélèvement etc. je vais envoyer de la cryptomonnaie à mon correspondant sur la blockchain tout en évitant théoriquement tous ces problèmes potentiels. Charge à moi d’obtenir de la cryptomonnaie au départ et charge au bénéficiaire de transformer cette cryptomonnaie reçue en monnaie du monde réel. Ce sont les interfaces avec le monde réel qui deviennent alors compliquées.

La blockchain publique est un écosystème totalement ouvert qui une fois augmenté des smart contracts devient une super plateforme accessible à tous dont la seule limite est l’imagination et les aspects réglementaires. Des acteurs comme Uber ou Airbnb peuvent subir une disruption de leurs business models sur certains aspects notamment dans la gestion de la confiance client-conducteur et hôte-voyageur dans la limite des capacités des blockchains actuelles en termes de capacité de traitement, de transaction, de stockage etc.

L’avenir de la blockchain publique au Maroc

Pour un pays comme le nôtre, c’est une révolution sous réserve de ne pas mettre la charrue avant les bœufs et ne pas maquiller nos problèmes structurels avec une couche de technologie. La blockchain publique est une infrastructure numérique de première nécessité qui vient avec :

  • Une identité numérique cryptographique incassable (Bitcoin)
  • Des autoroutes prêtes pour le paiement et éventuellement le micropaiement (Lightning Network)
  • Des capacités d’héberger des workflows complexes (Ethereum, Solana, etc.)

Highway

Utiliser cette infrastructure ou capitaliser sur le code gratuit, ouvert et robuste de celle-ci est à notre portée sous réserve d’avoir une vraie prise de conscience institutionnelle et législative de son potentiel. Il faut aussi comprendre ses limites en termes de confidentialité et de coûts de transaction. Enfin pour trouver des cas d’usages, un framework serait de se balader dans les rues et essayer de tokeniser ce qui nous entoure qu’il soit un objet physique ou une relation entre personnes. Une fois dans la blockchain, miroir de notre réalité, de nouvelles possibilités s’ouvrent à nous et c’est ça le vrai potentiel de la blockchain.

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