Un destin olympique
J’ai écrit cette nouvelle en novembre 2008 en hommage à la section Athlétisme de l’Ecole Polytechnique, section dont je fis partie et qui disparut à la promotion suivante. C’est aussi mon premier écrit structuré (hors quelques poésies d’adolescence) et au format nouvelle.
Histoire d’un athlète antique
Châpeau
Il est commun de voir des gens portés par l’existence, mais plus rare d’entendre parler de destinées façonnées par une envie inaltérable et viscérale de réaliser son rêve de jeunesse. La volonté est probablement l’outil le plus puissant dont dispose l’être humain pour défier le sort. Un seul leitmotiv : y croire jusqu’au bout. L’échec est une épreuve supplémentaire, la victoire est une invitation du destin à voir plus loin et plus grand, à repousser une ultime fois ses propres limites. Cette faim de réussite fait de l’Homme est une bête féroce, physiquement dopée psychologiquement invincible. Elle fait de lui un héros.
Sérénité
Je baigne paisiblement dans un noir calme et doux, apaisé et tranquille. Je me laisse porter par les murs visqueux qui m’enlacent affectueusement, ainsi je suis protégé du monde, éloigné de ses cris, à l’écart de son agitation frénétique. Mes bras se meuvent sans difficulté, mais mes yeux s’ouvrent péniblement, que me cache-t-on ? Je flotte agréablement dans une sérénité maternelle.
Douleur
Cette soirée est lourde et monotone, emplie d’une tristesse rituelle qui rythme quotidiennement la vie des habitants d’Argos. Quelques nuages rôdent dans les environs, un bienheureux présage pour ces terres maudites du fils de Zeus. Un âne gris traîne la jambe près de l’auberge, son maître a probablement appuyé la punition de cet animal maudit. L’âne pue la douleur, mais une mystérieuse force le pousse à se vautrer dans le silence. Un silence fragile, menaçant. Puis une légère détonation vient casser la paix nocturne, les quelques oiseaux qui rodaient par là disparaissent loin au-delà l’horizon, les criquets s’égosillent, la foudre s’abat sur la ville, sans répit pour l’éphémère quiétude de ses modestes habitants. Quel déchainement de violence ! s’exclame la sage femme chargé d’accompagner la jeune esclave engrossée par son maître un soir de fête, des lunes auparavant. Puisse Zeus nous garder en vie.
Naissance
De longues et pénibles heures d’effort, ponctuées de cris et de larmes donnent enfin naissance à celui dont Zeus acclame la venue au monde de ses éclairs bénis. L’enfant prend sa première gorgée d’air, avide de l’existence qui lui est octroyée par les forces divines. Robuste et bien constitué, il est l’objet de félicitations modérées des quelques personnes venues voir cet enfant inconvenant, fruit de l’union passagère d’un riche propriétaire terrien et d’une jeune scythe originaire du nord de la mer noire. L’avenir de mon enfant est incertain, pense la mère inquiète. Me l’enlèvera-t-il aussitôt qu’il sera sevré ? Les doutes l’assaillent puisqu’elle voit déjà Antonis lui proposer quelques oboles pour qu’elle disparaisse et que lui puisse élever l’enfant loin de la honte qu’amènerait la présence de sa mère. Cette femme au teint noirci par le soleil, la peau tirée par la fatigue, les yeux chargés de souffrance. Une intuition féminine.
Jeunesse
Alexios se promène à travers les champs de son père. Sa position sociale lui a donné le droit de diriger les esclaves chargés de travailler les terres sèches et infertiles qui peinent chaque année à récompenser leur maitre. Sa mère est morte en couche, car physiquement trop faible pour donner naissance, lui as révélé son père quand il fut en âge de comprendre. Il est fils d’une esclave et doit garder ce secret pour lui seul, lui a-t-on si souvent intimé. Il aurait aimé la connaître et partager sa douleur. A défaut, Alexios ne manque jamais d’aider les semblables de sa pauvre maman, parfois sous les yeux paternels fortement réprobateurs. Tonis, son percepteur, peine à lui donner la passion des chiffres, c’est pourtant le seul héritier et il devra un jour prendre la direction de ces étendues de terre. Et ce jour-là approche. Mais Alexios rêve de grandeur, il entend parler d’Alexandre le conquérant et se prend à rêver de devenir un personnage célèbre. Tel est le destin qu’il se donne.
Entrainement
Cette année est importante pour moi, les grands Jeux Olympiques se déroulent à Olympie, non loin d’ici. C’est l’occasion ou jamais de montrer au monde ce que je vaux, dussé-je prendre le risque de me faire humilier à la lutte ou m’effondrer avant la fin de la course, le tant redouté dolikhos. Chaque matin depuis bientôt la clôture des derniers jeux, je me réveille et je sors lentement, prenant soin de ne pas faire hennir les chevaux, ou attirer l’attention des esclaves qui se sentiraient obligés de rendre compte à mon père d’un comportement aussi suspect. Il faut augmenter mon souffle puis honorer les dieux d’un présent pour qu’ils m’accordent leur bénédiction. La forêt près du domaine familial est pour moi un terrain parfait, me protégeant des morsures piquantes du soleil matinal, m’offrant l’intimité et la concentration nécessaire pour mon entrainement. La terre fraîche et gorgée d’humidité se soumet à mes pas volontaires. Au fur et à mesure des jours, je me trace un parcours. Sinueux et bosselé, ce circuit améliorera mes capacités d’orientation, ainsi que ma résistance aux changements brutaux de rythme.
Rencontre
Quelle chance d’avoir pu trouver cet ancien athlète, Anatole, en ville l’autre jour ! Il est désormais mon unique guide face à mon inexpérience. Il félicite mon envie de m’améliorer et mon assiduité puis m’assure que la douleur sera récompensée : « Prouve aux Dieux que tu sacrifies de ta personne sans hésiter et ils te donneront en échange les qualités athlétiques que tu désires. C’est lorsque tu peineras à continuer tes pas, lorsque ton souffle se fera insistant, lorsque tout ton corps criera à ton âme la halte qu’il faudra défier cette soumission honteuse à nos perceptions pour continuer. Montre aux Dieux que tu t’élèves à leur niveau, ils t’aideront alors dans ton ascension céleste » Ces quelques mots me font le plus grand effet, je me sens pousser deux ailes divines. D’un air fier et prometteur, je promets à mon maître des exploits futurs et une victoire assurée très bientôt. Je le remercie de ses précieux conseils qui me sont très utiles, car je lui devrais la gloire, si Zeus veut bien me l’accorder aux prochains jeux. C’est alors que je reçois sous l’air hébété des passants une gifle monumentale, suivie d’un coup appuyé dans les côtes. Ma vision se brouille rapidement et je m’effondre …
Doutes
Que me cache encore cet enfant de chienne ? Je le nourris et malgré tout il ne m’apportera que des malheurs. Il ne fait aucun progrès en arithmétique et est beaucoup trop distrait lorsque je lui confie la responsabilité de diriger complètement les esclaves des champs. Cette scythe ne m’aura décidément apporté que des malheurs… des malheurs. La maîtresse d’Antonis l’entend s’égosiller à travers la demeure familiale, elle va dans le sens de ses idées et lui propose de l’envoyer en formation militaire à Athènes qu’il apprenne la vraie vie plutôt que l’oisiveté dont il fait preuve sans cesse. On l’a vu l’autre jour partir tôt le matin en direction de la forêt, mais que peut-il donc bien faire, nom de Zeus ! S’il s’est lié avec une esclave de la maison, je le jure devant Prométhée, je … je … et il tarde toujours à revenir d’Argos quand il doit faire des achats, quelque chose ne tourne pas rond chez ce sale gosse ! Et maintenant, cela fait plus d’une journée qu’il ne s’est pas montré. Quelle grossière et couteuse erreur, que va-t-il advenir de toutes mes terres avec un héritier aussi inapte à s’en occuper … il aurait dû repartir avec sa mère à l’autre bout du monde.
Lumière
Je me réveille brutalement sous un seau d’eau froide, le ventre douloureux. Où suis-je ? Que s’est-il passé ? La tête encore lourde du choc qui suivit ma chute sur le sol, je peine à ouvrir les yeux complètement. Un léger fumet de viande, rassurant et terriblement alléchant me parcourt les narines, mais je reste couché malgré moi. Anatole me regarde avec insistance : « Mon petit …. potentiel … excuses … courage et détermination … olympique … » Seuls quelques mots me parviennent, mais il y a plus important, je devais revenir à la demeure, je lui demande depuis combien de temps je suis inconscient. Il me répond quelques heures, sous mon regard horrifié, anticipant la future réaction de mon père. « Tu n’as plus rien à faire chez cet homme qui te traite comme un chien, désormais je t’entraînerais personnellement, et je ferais de toi un champion » J’acquiesce et lui demande des explications sur son comportement. Mais il ne se justifie pas, je dois comprendre d’après lui tout seul les vraies valeurs des Jeux Olympiques. Il me propose de venir habiter chez lui à partir de ce soir et me somme d’aller voir mon père une dernière fois avant les Grands Jeux. Hésitant, je sors … le pas précaire rejoindre ma famille …
Envol
Le soleil brûle les terres, les plantes et les peaux habituées à la morsure gourmande d’Hélios. Quelques chats, imperturbables témoins du temps se prélassent, d’un air nonchalant, ne se doutent pas du grabuge qui approche. Les esclaves, lents et épuisés, attendent, eux, avec impatience la fin du zénith, sous l’oeil exaspéré du maître qui en l’absence de son fils est réduit à diriger ses propres serviteurs. Antonis mâche sa colère, fait preuve d’un exceptionnel sang froid devant ces yeux habitués aux regards arrogants et haineux du maître. Il couve quelque chose, se doutent leurs esprits acérés par la rudesse de la vie qui les accompagne depuis leur naissance. Le jeune homme arrive, d’un pas rapide. La peur est palpable dans ses gestes lorsqu’il aperçoit son père les pieds foulant la terre sèche. Il a manqué à son devoir et sera puni sans aucun doute, mais il est temps de révéler ses ambitions personnelles. Un père doit pouvoir comprendre son fils, doit comprendre son fils. Feignant l’air déterminé, Alexios se présente devant Antonis. L’excuse et l’explication déroulées, l’athlète se jette dans les sables mouvants.
Chat
Une respiration lente rythme la journée du chat fainéant. Son pelage noirâtre se déforme comme un ballon que gonflerait le soleil. Il se tourne, présentant tour à tour différentes parties de son corps aux vagues de chaleur. Le vent souffle, la brise le rafraîchit, le silence le berce. Et le chat s’endort … Un bruit. Deux personnes échangent des paroles fortes. Le chat observe autour de lui, éternel curieux. Que se passe-t-il donc ? Il se rapproche des sons, cherchant un point d’observation stratégique, avec possibilité de retrait rapide en cas de danger. Le vieux grenier fera parfaitement l’affaire. Le maître et son fils. Encore une dispute. Plus moyen de digérer tranquillement … Mais cette fois-ci c’est différent. Les mots sont incisifs, virulents et aiguisés. Les esclaves sont partis, d’autres chats sont venus admirer le spectacle, troublés par le vacarme. Ces humains, quelle existence compliquée et désagréable … Les deux protagonistes se séparent, sous l’oeil soulagé de l’animal noir. Quelle perte de temps, quelle horrible dépense d’énergie, toujours à se chamailler. Je m’en vais de ce pas reprendre ma sieste.
Forêt
J’ai réclamé à mon père l’autorisation de réaliser mon rêve.
J’ai demandé un sursis afin de m’entraîner sérieusement, en vue de reprendre l’affaire familiale plus tard.
J’ai supplié pour un peu de compréhension.
Je n’ai eu que ses reproches, son indifférence et son insensibilité. Mais il ne me retiendra pas. Avec ou sans sa bénédiction, j’accomplirai mon destin sans l’ombre d’une hésitation. Anatole est mon seul refuge, mon seul recours. Il sera pour moi entraîneur, maître et père. Il m’attend tranquillement, interrompant ma première phrase pour me dire qu’il a compris. Je sèche quelques
semblants de larmes puis m’apprête à déguster la viande qui répand encore son délicieux parfum.
Champions
Les habitudes ont changé. Être matinal est absolument impératif pour que la journée soit vivante. L’activité physique est omniprésente. Endurance et puissance sont sans cesse sollicitées et pour le jeune athlète, cela fait une grosse différence avec sa vie précédente. L’alimentation a également changé : oeufs et viandes composent la plupart de ses repas, figues, châtaignes, fromages et pain aux oignons les accompagnent. La plupart des fruits et légumes sont cultivés dans un jardin à proximité. Alexios apprécie sa nouvelle vie, faite de défi et d’indépendance. Il parvient même à améliorer le rendement du petit potager près de la maison. Les après-midi sont consacrés à l’Histoire des Jeux Olympiques, à ses champions et à ses glorieuses victoires. Alexios comprend mieux à présent l’esprit des Jeux. Tolérance et humilité sont indispensables pour être un vrai champion. Savoir respecter l’adversaire dans ses paroles, tout en lui promettant le combat le plus disputé de sa vie. Travailler les muscles de son corps prévaut sur les verbiages arrogants et inutiles. Humainement, l’athlète se sent différent, grandi et élevé. Il est enfin prêt à défier ses compatriotes, accepter les épreuves que les dieux lui ont réservés.
Echauffement
Ma convocation est arrivée, on a pu m’inscrire grâce au réseau bien étendu d’Anatole. Plus qu’un mois avant la date fatidique. Tellement loin, mais tellement proche, mes yeux se perdent si facilement dans un futur fleuri, mais je dois rester lucide. Beaucoup de travail, de patience et de persévérance m’attendent encore. Anatole m’a, une fois de plus, permis de participer à toutes les épreuves en me faisant prendre part aux courses hippiques pour le compte d’un riche athénien. Je le remercie une fois encore pour tout ce qu’il a fait pour moi et je prend la route pour Elis, sanctuaire du défi physique.
Temple
Le vent souffle calme et tranquille par ces temps de trêve olympique. Le sang ne coule plus sans raison. Mais Olympie grouille d’agitation fiévreuse, nerveuse et impatiente. Les statues de Zeus parsemées dans la ville imposent silence et respect dans leurs alentours. Nombreux sont les athlètes qui s’arrêtent pour contempler le Roi des cieux. Sa bénédiction est un atout dont on ne peut se passer. Alexios n’a pas manqué de faire quelques offrandes avant de prendre part aux Jeux. Sa détermination se lit dans son regard, son courage dans sa démarche et sa confiance dans le poing qu’il serre inconsciemment pendant la prononciation du serment olympique. Le pourpre des magistrats l’entoure mais sa vision se noie dans l’azur divin. Les Jeux Olympiques commencent sous l’acclamation lointaine des divinités avides de ce spectacle en leur honneur.
Déchéance
Cette année-là fut rude. L’air chargé de tension, la boue et le sang se mêlent allègrement, sans répit pour les âmes torturées par l’envie aveuglante de vaincre. La course est un calvaire infini. Les chutes, souvent brutales et inévitables, précèdent le cri et la souffrance. La lutte est un combat de toutes les secondes pour tous les muscles du corps. L’esprit en ressort également meurtri par le déchainement de violence. La course à pied brûle les entrailles, une fois les poumons poussés à bout. Le saut plombe les cuisses et mollets, pauvre Atlas traînant son fardeau. Les lancers sont trop faibles et hésitants. L’échec pour Alexios.
Repentir
La déception est une douleur de plus.
Le retour une épreuve de plus.
L’excuse une humiliation de plus.
Le chemin du pardon divin est encore long, mais je suis né pour défier mes semblables, je reviendrai pour montrer ce que je vaux, un jour.